Pâques et pain

J’aime Pâques. Pas d’un point de vue religieux, non; le catholicisme que j’ai connu toute ma vie est davantage culturel de toute façon. J’aime cette fête pour sa convivialité. Pâques, pour moi, est une affaire de famille. Et c’est une célébration gastronomique.

Je ne me rappelle pas spécialement des Pâques de mon enfance, mais j’ai le sentiment qu’on y mangeait bien. Probablement beaucoup de chocolat trop sucré. C’est pourquoi, dans les dernières années, c’est moi qui ai pris en partie le contrôle du menu.

J’associe Pâques à certains goûts, à certains aliments. L’agneau, le jambon (préférablement à la bière), les œufs… Le chocolat arrive généralement loin sur la liste.

À mes yeux, Pâques incite davantage à la détente que le reste des fêtes chrétiennes et/ou commerciales (si vous êtes cyniques). Il n’y a pas 8000 réveillons auxquels se rendre. On se rassemble le temps d’un brunch (qui se transforme parfois en souper léger), café dans une main, mimosa dans l’autre. On n’a probablement pas vu les gens autour de la table depuis Noël. On a généralement quelque chose à se raconter, et des discussions sur des sujets d’actualité. Le printemps frissonne (surtout quand il fait – 15 dehors, sous un ciel d’azur et un soleil éclatant).

En vieillissant, je commence à apprécier les fêtes de famille. En fait, je me sens choyée d’avoir une famille. Je trouve un peu absurde d’avoir eu à perdre autant pour m’en rendre compte. Il m’arrive parfois de penser que je n’ai pas grand-chose en commun avec certains à l’exception de quelques gènes et gênes, mais c’est de la mauvaise foi de ma part. Comme les amitiés, les familles évoluent.

J’aime Pâques parce que c’est un des rares moments dans l’année où je peux cuisiner avec amour pour ma famille. Je ne suis pas très forte sur les « Je t’aime » en veux-tu, en v’là. Faire à manger pour des gens en particulier, dans un contexte précis, c’est ma façon à moi d’exprimer mon amour profond.

Je ne suis pas très habile pour trouver les mots justes pour décrire mes sentiments; probablement parce que ces derniers peuvent être accaparants, voire trop intenses, par moments. Mais donnez-moi des légumes frais, un oignon, une gousse d’ail et un morceau de viande bien tendre et vous aurez une déclaration d’amour dans votre assiette.

La cuisine est un art, qui nécessite et suscite des émotions. Je ferme les yeux, et je retrouve le goût sucré d’un jambon à l’érable, le sourire de quelqu’un et le bonheur d’être là où je suis. Je tends la main et je sais quels ingrédients prendre pour tenter de reproduire cet instant. Mes tentatives sont souvent vouées à l’échec, mais grâce à elles, je retrouve un coin de mémoire, un éclat de rire, une gorgée de café fort, et c’est suffisant.

J’ai toujours démontré une certaine ambition dans les recettes que je partage avec mes êtres chers. Celles-ci semblent toujours nécessiter une liste d’ingrédients longue comme mon bras, des techniques que je maîtrise à peine, un tandoor, un orchestre qui joue le Sacre du printemps, une poignée de mes cheveux et un soupçon de paprika fumé. Les résultats sont généralement appréciés des autres, mais ne les sont jamais pour moi.

J’aime ça me compliquer la vie. Parce que chaque niveau de complexité supplémentaire devient une raison supplémentaire d’avoir le sentiment personnel d’avoir échoué, peu importe les compliments reçus en bout de ligne. Je suis dure envers moi-même.

Laissez faire le jambon et l’agneau pascal, ou les recettes vraiment trop compliquées de Jamie Oliver. Cette année, je vous offre du pain. Niveau technique plutôt élevé, mais seulement quatre ingrédients (de base) : farine, levure, eau et sel. Même trois ingrédients si vous omettez la levure parce que vous êtes intenses et faites votre propre levain.

Du pain. C’est bon. C’est apprécié. C’est simple. Il n’y a pas moins d’amour pour vous là-dedans, il y en a juste un peu plus pour moi.

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La fabrication d’un bon pain nécessite une grande précision lorsque vient le temps de peser les ingrédients. Oubliez les tasses et les cuillères à thé… j’ai essayé plusieurs recettes avec ces unités de mesure et les résultats se situaient quelque part entre « mitigés » et « désastreux ». J’ai trouvé une tentative de levain à base de farine de seigle et de babeurre particulièrement infâme (le mélange a préféré moisir de façon spectaculaire plutôt que de gagner en saveur)… Oh, n’est pas boulanger qui veut, mais cela est encore plus vrai lorsque quelqu’un rédige une recette de pain.

Bref, la magie de la panification opère au gramme près. La base d’un bon pain nécessite quinze minutes de grande concentration. Maximum. C’est une excellente nouvelle pour moi, qui ai mis une semaine à écrire le présent billet et qui peine à rester en place ces temps-ci.

Le reste du processus peut être un peu plus imprécis, et c’est parfait comme ça. Les levées/poussées d’un pain varient énormément, mais leur durée peuvent aller de « un ou deux épisodes d’une série originale de Netflix » à « une bonne nuit de sommeil ».

Au-delà de cela, faire du pain, c’est aussi prendre le temps de le faire. De le pétrir. De le laisser pointer. De lui accorder une détente. De le façonner.

Je vous le concède, y a aussi des fois où c’est interminable. Mais ça vaut tellement la peine!

La recette que je vous offre est adaptée de celle proposée par Trine Hahnemann dans son livre Scandinavian Baking – Sweet and Savory Cakes and Bakes for Bright Days and Cozy Nights. Charmant ouvrage. L’auteure appelle ce pain le Knight’s Grain Bread.

Après moult recherches, je n’ai pas vraiment trouvé l’histoire derrière ce « pain du chevalier », mais je présume qu’il s’agit d’une recette aux origines plutôt humbles, à l’image des chevaliers du haut Moyen Âge. La particularité de ce pain se trouve dans la facilité avec laquelle on peut le rompre et le partager avec des compagnons. Très pascal, n’est-ce pas?

Qui plus est, le mot « compagnon » vient du vieux français « compaignon », lui même issu du bas latin « companionem » (« companio », « com » + « panis »), ce qui veut dire « celui avec qui l’on partage le pain ». Merci cours d’étymologie et Wikitionnaire!

Voici donc la recette de ce pain partagé par les chevaliers danois de jadis avec leurs compagnons. Très nourrissant et délicieux avec du saumon fumé, avec des fromages ou en accompagnement d’une soupe ou d’un ragoût.

Pain du chevalier

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Ingrédients

  • 25 g levure sèche active
  • 600 ml eau tiède
  • 250 g farine blanche d’épeautre
  • 50 g farine blanche de khorasan (kamut)
  • 50 g flocons d’épeautre
  • 50 g flocons de khorasan (kamut)
  • 50 g flocons de seigle
  • 15 g graines de lin
  • 35 g graines de pavot
  • 100 g graines de tournesol
  • 100 g bulgur de blé entier
  • 6 g de sel

Instructions

  1. Dans le grand bol d’un batteur sur socle, dissoudre la levure dans l’eau tiède. Ajouter les farines, les flocons, les graines, le bulgur et le sel.
  2. Avec un crochet à pâte, mélanger les ingrédients à la vitesse minimale du batteur (« stir ») pendant 3 minutes, puis pétrir la pâte à la même vitesse pendant 5 minutes.
  3. Mettre la pâte dans un cul-de-poule, couvrir d’une pellicule plastique de façon hermétique et d’un linge propre, puis laisser pointer pendant 2 heures dans un rayon de soleil ou dans le four éteint avec la lumière allumée.
  4. Fleurer (fariner) le plain de travail, puis fariner les mains. Verser la pâte sur le plan de travail et la diviser en 21 boules.
  5. Placer une boule au centre d’une plaque à cuisson tapissée de papier parchemin, puis en placer 7 autour de celle-ci. Placer les 13 autres boules autour des autres. Couvrir d’une pellicule plastique et d’un linge propre et laisser pointer au moins 30 minutes.
  6. Préchauffer le four à 400 degrés Fahrenheit.
  7. Badigeonner le pain avec un peu d’eau et saupoudrer de quelques flocons/grains. Cuire pendant 40 minutes. Laisser refroidir sur une grille.

* Cette pâte est très collante; ne lésinez pas sur la farine lorsque vous la travaillez.

** Vous pouvez substituer certains ingrédients (à l’exception de l’eau et de la levure), mais essayez de conserver la même quantité totale de farine (300 g), de flocons (150 g), de graines (150 g) et de bulgur 100 g).

Joyeuses Pâques!

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